We feed the world - Le marché de la faim
Révoltée. Je l'étais quand je suis sortie de la salle où j'ai été voir le documentaire d'Erwin Wagenhofer, We feed the world.
Petit panorama.
Connaissez-vous encore le vrai goût du poisson ? Le vrai goût des fruits et légumes naturels ?
Mêmes si vous achetez des produits non transformés plutôt que des plats préparés, ce n'est pas si sûr. Je ne connais pas le goût des poissons mais je fais confiance aux experts. Quant aux fruits et légumes, une fois que vous connaissez l'équation goût = semence naturelle = aspect irrégulier, par opposition à produit beau et lisse qui rime avec insipide et semences hybrides non re-semables, pour moi, il n'y a pas photo entre les produits aseptisés des supermarchés et les étals terreux des producteurs locaux.
Le transport des tomates hors-sol espagnoles ne coûte qu'1% de leur prix de vente
Voilà pourquoi ces tomates, qui poussent dans de la laine de verre dans d'immenses serres défigurant le paysage de la province d'Almeria, parcourent des milliers de kilomètres à travers l'Europe. Aujourd'hui, 90% des tomates poussent hors sol en serre. Avec la facture en CO2 qui en résulte (chauffage + transport).
Et si on arrêtait de manger des tomates (sans goût) l'hiver ?
Les poules européennes dévorent la forêt amazonienne
Celle-ci est vendue à 1 cent le mètre carré, rasée pour planter du soja qui est exporté dans les pays développés où il sert à l'alimentation du cheptel. Pendant ce temps, au Mato Grosso (Brésil), les cultivateurs de soja meurent de faim. Et en Europe, on utilise des champs entiers de maïs et de blé comme… combustible.
Chaque poulet élevé en batterie rapporte de 0 à 20 cents à l'usine qui le produit.
Combien payez-vous un poulet ? La dizaine d'euros de différence correspond à toutes les étapes de travail à la chaîne par lesquelles passent ces pauvres poulets. C'est une séquence assez éloquente du film, qui rappelle également Les Temps Modernes. Après visionnage (je m'abstiens de tout décrire), ne seriez-vous pas prêts à payer le même prix, ou un peu plus, directement à un producteur traditionnel ?
Le rapport entre le poulet (ou les tomates) et les migrants africains ?
Les surplus de l'agriculture européenne sont exportés sur le marché africain où, grâce aux subventions de la PAC, ils se vendent à bas prix (à Dakar, on trouve des fruits et des légumes européens vendus au tiers du prix des produits locaux). Quand vous achetez des blancs de poulet, pensez-vous à ce qu'est devenu le reste des morceaux ? Certes, à côté des barquettes de blancs de poulet, d'autres barquettes contenant des pilons et des ailes ; mais en moins grand nombre. Le reste ? Peut-être à Dakar, ou ailleurs en Afrique. Que font les producteurs locaux qui ne gagnent plus assez face à cette concurrence ? Certains émigrent au péril de leur vie, et se retrouvent parmi les travailleurs des plantations de tomates d'Almeria, qui vivent dans de véritables bidonvilles. La boucle est bouclée.
Je suis une extrémiste et fière de l'être
Dernière séquence, zoom sur Peter Brabeck-Letmathe, PDG de Nestlé, la première entreprise mondiale de l'agroalimentaire. La question de l'eau ? Deux points de vue s'opposent. D'un côté, il y a la position extrême de gens qui, en quelque sorte, considèrent l'accès à l'eau comme un droit. De l'autre, les gens comme M. Brabeck-Letmathe, qui ne voient pas en quoi l'eau serait une denrée alimentaire différente des autres. Nestlé est le premier producteur d'eau en bouteille au monde. Ceci explique cela.
J'étais consciente de certains aspects - vous aussi sans doute - mais j'ai aussi appris pas mal de choses. Et pris conscience que tout est plus ou moins imbriqué.
We feed the world - Le marché de la faim, documentaire autrichien d'Erwin Wagenhofer, sorti le 25 avril en France, à voir d'urgence au cinéma (d'urgence car 1) il décrit des urgences 2) il ne restera peut-être pas très longtemps à l'affiche).
Des projections-débats sont organisées, renseignez-vous sur le site du film.
Petit (r)appel aux "extrémistes" comme moi : une pétition sur l'accès à l'eau est à signer en ce moment. J'en parle là.