Partir pour être solidaire ? (notes de lecture)
Ce guide d'une centaine de pages pose et fait se poser des questions importantes à tous les "candidats au départ". Pourquoi partir (réfléchir à ses motivations profondes) ? Avec quel statut et dans quelle structure ? L'aide est-elle adaptée ? Et s'il valait mieux ne pas partir ?
Je le conseille bien sûr à tous ceux qui seraient tentés de partir pour une mission humanitaire ou de solidarité internationale, mais aussi à ceux qui se posent simplement des questions sur cette thématique (humanitaire, solidarité, développement...) ou qui partent comme touristes !
Partir pour être solidaire ?
D. Delhommeau, M. Groshans,
F. Materne, S. Chastang
Ed. Ritimo, juin 2007
ISBN : 2-914180-29-2
112 pages, 6 €
Le guide s'organise autour de quatre parties :
- Pourquoi partir ? (connaître ses motivations ; plutôt urgence ou développement ?)
- Comment partir ? (volontariat - les différents statuts, bénévolat, salariat, chantiers, tourisme solidaire, stages et échanges universitaires, monter un projet)
- Le temps du voyage (préparation, séjour, retour)
- Et si l'objectif était de changer le monde ? (solidarité ; l'aide en question ; être solidaire ici)
A cela s'ajoutent un test pour connaître son "profil", une liste d'adresse et une bibliographie.
Humanitaire, solidarité internationale, développement....
Si le titre est une question plutôt qu'une affirmation, c'est qu'on trouve de tout (du bon et du beaucoup moins bon) sous l'étiquette "humanitaire". Et que les bons sentiments ne suffisent pas. (L'actualité est venue nous le rappeler récemment.)
Il faut tout d'abord s'interroger soi-même sur :
- ses attentes : motivations, espoirs ; apports de cette expérience ? combien de temps et pourquoi ? but principal = voyage ou solidarité ?
- ses acquis : déjà parti ? dans quel cadre ? déjà engagé dans une association ? connaissances sur les problématiques liées au développement et à la solidarité internationale ?
- ses apports : prêt à faire ici ce qu'on se propose d'aller faire là-bas ? utilité ? compétences ? prêts à fournir quels efforts ?
- ses rapports aux autres : comment considère-t-on les personnes par lesquelles on sera accueilli ?
Puis s'informer : récits de voyage, littérature et cinéma du pays, documentaires et émissions sur l'histoire politique et économique...
Et se former - même pour faire du tourisme, il peut être utile de suivre une formation sur l'interculturalité (qui peut être utile aussi lorsqu'on s'engage dans une association "ici").
Une fois qu'on a fini de se questionner soi-même, il faut faire de même pour les projets et les organismes...
Faire attention à ce que la démarche ne soit pas néo-colonialiste - par exemple, le projet doit être mené en concertation et en coopération avec la population locale. Eviter par contre les organismes qui vendent des séjours estampillés humanitaire qui donnent bonne conscience au touriste-bénévole mais qui n'apportent rien ou font plus de mal que de bien sur place - à l'extrême, on a les gap-years à l'anglo-saxonne où les volontaires, entre le lycée et l'université, débarquent avec ipods et appareils photos numériques plus pour s'amuser qu'avec un projet personnel.
Même pour le projets sérieux, il reste la question : "est-ce qu'un autochtone pourrait faire ce travail à ma place ?" Et bien souvent la question est oui. Seulement, "il arrive que des responsables de projet demandent à bénéficier du travail des volontaires parce qu'il n'ont pas l'argent pour payer un autochtone qui soit aussi qualifié. C'est une situation dramatique mais il faut la regarder en face. Il y a en Colombie, en Bolivie, des ingénieurs qui pourraient faire le travail du volontaire..." (René Thiel, Coopération Amérique latine).
Tourisme solidaire
"Si les touristes se posaient quelques questions, on éviterait souvent le pire. Sur le dos de qui brade-t-on la semaine en Tunisie à 150 euros ?" (Françoise Alaoui, Faim développement magazine n°213, CCFD, mai 2006)
Les maux du tourisme :
- environnement : transports, bétonnage des côtes, pression sur les ressources en eau (piscines, golfs).
- économie / social : bénéficie le plus souvent à des entreprises du Nord alors que le personnel sur place est sous-payé.
- culture : les modes de vie locaux considérés comme des biens de consommation.
Les réponses d'un tourisme responsable :
- travail et denrées payés à leur juste valeur ; bénéfices aux entreprises locales.
- parfois, un pourcentage du prix payé par le touriste est investi dans un projet de développement.
- rencontre entre les voyageurs et les populations locales.
- respect de l'environnement et des ressources locales.
Le tourisme responsable reste du tourisme : il ne questionne pas la marchandisation des réalités sociales et naturelles... L'attitude consumériste demeure souvent : la préparation au départ et les rencontres locales n'intéressent pas forcément les voyageurs. Il y a encore peu d'initiatives conçues ou portées par les populations locales. Et enfin, comme pour tout, il faut se méfier de la récupération de ce concept dans un but de marketing.
Pour éviter le "voyage jetable", il faut y accorder le temps et la préparation nécessaire : connaître l'histoire, la géographie et la culture du pays pour savoir qui on va rencontrer ; ne pas multiplier les "sauts de puce".
Sur le don
"L'extraordinaire progression de la cause humanitaire dans l'opinion publique n'est pas seulement un phénomène positif. Elle est aussi le symptôme d'une régression des idéaux collectifs et de la rationalité politique au profit de réaction sentimentale immédiate, visuelle." (Jean-Christophe Ruffin, L'aventure humanitaire, 1994)
L'aide matérielle semble être la manière la plus concrète d'agir. Cependant, là aussi, les bonnes intentions débouchent parfois sur des aberrations.
Le don doit se baser sur une demande. Sinon, il risque d'alimenter les décharges ou de déstructurer une économie locale, souvent déjà fragile. Si l'on veut apporter une aide matérielle, mieux vaut acheter sur place : cela évite les transports (frais et pollution) et fait fonctionner l'économie locale.
De plus, le don, s'il valorise la personne qui donne, rend redevable, et parfois dépendant la personne qui reçoit.
Apprécions-nous toujours l'aide que d'autres prétendent nous apporter ?
"Souvent, l'image de dénuement nous conduit à penser : quoi que nous donnions, "c'est mieux que rien" mais bien souvent en réalité : "rien, c'est mieux que n'importe quoi." " (Bioport)
Une touche plus positive - pour sortir des rapports unilatéraux Nord-Sud, pourquoi ne pas développer des programmes d'aide Sud -> Nord ? Par exemple, le regard d'un Africain sur la question des personnes âgées dans nos pays développés pourrait amener de nouvelles solutions...
Je vous rassure, ce guide ne fait pas que fustiger le fait de partir pour être solidaire ou l'aide internationale - seulement, j'ai insisté sur quelques aspects négatifs et questions qui m'ont fait réfléchir. La solidarité entre les peuples est quelque chose de merveilleux, ce n'est pas parce qu'on est jeune et sans formation spécifique qu'on ne peut pas être utile, mais il faut rester réaliste et modeste, et surtout dans une démarche de partenariat - et pas de paternalisme.
Une citation pour finir :
"Les deux malédictions du voyageur sont l'enchantement et l'indignation. Les deux aveuglements, les deux façons de passer à côté. Je n'ai jamais rencontré un voyageur assez sage pour se prémunir contre ces deux malédictions. J'en conclus que voyager, c'est passer à côté." (Daniel Mermet, Là-bas si j'y suis, Carnets de route, La Découverte, France Inter 1999)
Le site de Ritimo (réseau des centres de documentation et d'information pour le développement et la solidarité internationale), qui édite ce guide : www.ritimo.org
Ritimo a consacré des guides pratiques sur le même modèle que celui-ci aux questions du tourisme et du don :
Vacances, j'oublie tout ? Ritimo. Mars 2005. 52 pages. 5 euros.
Le don, une solution ? Ritimo, Cap Humanitaire, Peuples solidaires. Juillet 2006. 96 pages. 6 euros.